J’avais accouché quatre jours auparavant, et il s’était déjà passé tant de choses. Une nuit à l’hôpital et j’étais de retour à la maison, active dans l’accueil de la famille venue pour Noël et le tourbillon des préparatifs. Nous avons eu une première nuit à la maison, j’ai passé la matinée dans la salle d’attente du médecin, fait des derniers achats de Noël avec ma boule de nouveau-né dans les bras...
Puis elle a arrêté de respirer et elle s’est retrouvée embarquée en ambulance et la vie a basculé. Nous avons fêté Noël tant bien que mal entre deux allers retours à l’hôpital et les douleurs ont commencé...
Quatre jours après l’avoir mise au monde, j’étais prise en otage dans un box des urgences, ma fille étant bloquée dans l’hôpital d’en face, je n’avais pas eu de montée de lait, et je ne pouvais rien faire...
Contrairement à ma nature combative, j'étais à deux doigts de me rendre à l’évidence. Mon septième bébé allait être la première nourrie au biberon. Mais comment pouvais-je accepter cette fatalité ?
La personne bien intentionnée qui voulait me convaincre que nourrir un bébé au biberon, ce n’était pas grave, ne savait pas ce que signifiait l’allaitement pour moi. Un nouveau bébé, c’était une nouvelle chance.
Elle ne pensait pas à la brutalité de la fin de l’allaitement précédent. Quand un bébé allaité part subitement, ce n’est pas seulement le cœur de sa maman qui souffre. C’est tout son corps qui réclame l'enfant envolé. Les seins durs comme de la pierre, la peau tendue, la fièvre et la douleur, les heures passées dans la douche pour essayer de soulager ce poids d’un lait destiné à celui qui n’est plus là... ça, c’était la fin cruelle de plus de six années d’allaitement...
Tout ce que j’avais souhaité pendant ces dix mois, c’était une seconde chance. Et là, j’étais à deux doigts de me résigner.
Heureusement qu'une autre maman expérimentée est venue me dire que vu mon expérience, j’allais y arriver malgré tout. Cet encouragement tombait à pic.
Alors on a persévéré. Le tire-lait a beaucoup fonctionné. Et j’ai découvert qu’incroyablement, un bébé qui a été nourrie par perfusion, par sonde, par pipette, à la tasse et au biberon, n’oublie pas le sein de sa mère, même après trois semaines.
Et on a trouvé notre rythme. De tous mes enfants, c’est elle que j’ai allaité le plus longtemps. Cette aventure s’est doucement estompée au bout de vingt mois. Plus d’un mois plus tard, elle s’est réveillée malade. Elle ne se sentait pas bien et manifestait très clairement le désir de trouver le réconfort du sein maternel, au creux de mes bras. J’ai tenté de lui expliquer que c’était fini, qu’il n’y avait plus de lait, mais rien à faire.
Je l’ai laissée constater la réalité par elle-même. Elle a repris sa position si familière et, apaisée, s’est mise à téter un sein aride... avec un soupir de contentement, elle retrouvait un bonheur passé, mais qui ne pouvait plus satisfaire sa faim. Tout à coup, une grande sœur est arrivée avec un biberon. Sans hésiter un seul instant, elle a lâché le sein pour dévorer goulûment le lait chaud. En quelques secondes, elle avait terminé le biberon et souriait, enfin rassasiée. Puis, tout d’un coup, comme si une réalisation soudaine venait de la frapper, elle a levé vers moi des yeux remplis de chagrin, et s’est blottie contre moi, secouée de gros sanglots.
Malgré son jeune âge, elle avait compris. Une époque était révolue. Plus jamais elle ne boirait le lait de sa maman.
Oh oui, petite fille. Cette aventure a pris fin, mais c’est pour découvrir tant d’autres bonnes choses. Tu peux manger de tout maintenant, tes papilles pourront être éveillés à mille et un autres bonheurs.
Et je suis pareil. Combien de fois une page s’est tournée ma vie, mais Dieu avait en réserve d’autres projets, meilleurs et plus grands. Et comme mon enfant sevrée, je lève des yeux remplis de larmes.
Le changement apporte son lot de tristesse, mais si nous gardons nos yeux fixés sur Celui qui pourvoit à tous nos besoins, nous pouvons avancer avec joie et espérance.